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Cahier de prospective de l’IWEPS n°6

La transition juste en Europe : mesurer pour évoluer

Alors que se déroule actuellement à Glasgow la conférence des Nations Unies sur les changements climatiques (COP 26) , l’IWEPS, en collaboration avec Sciences Po Paris (Eloi Laurent), le Groupe de Recherche sur les Dynamiques Socio-Environnementales (SONYA) de l’ULB (Tom Bauler et Aurore Fransolet) et le Service interfédéral de lutte contre la pauvreté (Mélanie Joseph), publie le Cahier de prospective de l’IWEPS n°6 « La transition juste en Europe : mesurer pour évoluer ». Cette publication entend apporter une double contribution aux débats sociaux-écologiques entourant la COP 26 : la première consiste à clarifier et à élargir la notion de
« transition juste » ; la seconde vise à proposer une réflexion exploratoire sur sa mesure. Cette réflexion, basée sur différents scénarios, aboutit à une proposition de tableaux de bord d’indicateurs pertinents pour guider le développement d’actions publiques sociales-écologiques et suivre les progrès effectués par l’Europe, les États et les régions en matière de transition juste.

Pandémie, inondations, canicules: la multiplication des crises sociales-écologiques met en lumière l’urgence et l’importance d’assurer une transition juste.  

Les multiples catastrophes de ces dernières années – pandémie, inondations, canicules, sécheresses – causées par le dépassement des limites planétaires ont creusé les inégalités sociales. Il s’agit de la double injustice des crises écologiques contemporaines : les populations qui contribuent le moins à ces crises, sont celles qui en subissent le plus les conséquences.  Les catastrophes naturelles touchent, en effet, de manière disproportionnée les groupes sociaux vulnérables qui font souvent face à des doubles ou triples vulnérabilités. De telles inégalités risquent de s’accentuer car les politiques climatiques actuelles ne permettent pas de contenir la hausse de la température mondiale en dessous des limites fixées par l’Accord de Paris, exposant les sociétés humaines à un risque accru de phénomènes naturels dangereux inédits et imprévisibles. Cette situation souligne l’importance et l’urgence de renforcer les politiques de transition écologique en les articulant à des politiques sociales fortes. Les politiques sociales pourraient, ainsi, intégrer un objectif de réduction des facteurs de vulnérabilité aux risques écologiques. De tels objectifs de justice sociale apparaissent également indispensables à l’efficacité et à l’efficience des politiques environnementales car une politique environnementale injuste peut engendrer de fortes résistances de la part d’acteurs qui s’estiment lésés comme on l’a vu avec les « gilets jaunes ».

La transition juste ne doit plus seulement s’entendre comme un accompagnement social ou une compensation financière des politiques d’atténuation des changements climatiques, mais plus largement comme une stratégie de transition sociale-écologique. 

La notion de « transition juste » est née au début des années 1990 dans les milieux syndicaux américains pour protéger les travailleurs des industries fossiles des conséquences des politiques climatiques sur leurs emplois. Avec l’amplification des chocs écologiques et de leurs conséquences sociales, les syndicats européens ont proposé d’élargir la notion au début de la décennie 2010 afin de concilier la lutte contre le dérèglement climatique et la réduction des inégalités sociales. La situation actuelle pousse à élargir encore la définition de la notion pour en faire un projet social et surtout pour la rendre opératoire. Cette publication développe une définition opérationnelle  de la transition juste intégrant : (1) l’analyse systématique des chocs écologiques et des politiques qui y répondent sous l’angle de la justice sociale; (2) la priorité au bien-être humain dans la conception des politiques de transition en vue de dépasser l’horizon de la croissance économique ; (3) la construction et la mise en œuvre démocratique des politiques de transition juste.

L’avènement de la transition juste comme projet politique requiert de repenser les systèmes de mesure qui sous-tendent l’action publique.

Cette publication propose sept scénarios de transformation des systèmes de mesure de l’économie visant à rendre compte des progrès effectués par les États et les régions en matière de transition juste ainsi que des tableaux de bord d’indicateurs permettant d’en illustrer une possible opérationnalisation. Les scénarios s’inscrivent dans un gradient allant d’une mesure technocratique de la transition juste calquée sur le modèle du PIB à des approches délibératives de la mesure de la transition juste. L’étude part d’une mesure de la transition juste inspirée du « modèle PIB » considérant que des indicateurs alternatifs au PIB s’inscrivant dans le sillage de celui-ci sont plus susceptibles d’être “utilisés” par les décideurs politiques que des indicateurs en rupture avec le système en place. La mesure de la transition juste basée sur un ajustement du  « modèle PIB » permettant de monétariser le bien-être humain, les inégalités sociales et les problèmes environnementaux présente toutefois une série de limites. C’est à ces limites que tentent de répondre chacun des six autres scénarios imaginés dans l’étude. Les deux tableaux de bord proposés dans l’étude se basent sur neufs domaines du « bien-être essentiel » et des droits fondamentaux : la santé physique et mentale, l’alimentation de qualité, le logement et l’accès à l’énergie et à l’eau, la mobilité, la formation de qualité, l’environnement sain et la biodiversité, la sécurité économique et l’emploi, la vie sociale et la sécurité physique.

 La transition juste et sa mesure ouvrent la voie à un approfondissement de la démocratie.

Les scénarios proposés montrent que l’adoption de la transition juste comme horizon collectif appelle à démocratiser les systèmes de mesure de l’économie. Les problèmes sociaux-écologiques complexes que la transition juste entend atténuer sont caractérisés par une pluralité de perspectives légitimes. La prise en compte de ces différents points de vue remet en question la mainmise des
« experts » dans le développement de la mesure et invite à ouvrir le processus à tous les acteurs concernés par le problème, y compris ceux qui ne sont traditionnellement pas conviés dans les approches purement expertales. Cette démocratisation de la mesure vise à faire en sorte que les outils employés soient représentatifs des réalités sociales de l’ensemble des acteurs concernés par la transition juste  et non uniquement de leur perception par des groupes restreints d’experts. Les auteurs expliquent également que des formes approfondies de démocratisation de la mesure pourraient contribuer à répondre à la crise de confiance dont souffrent les autorités statistiques et politiques.

Lien vers la publication: https://www.iweps.be/publication/la-transition-juste-en-europe-mesurer-pour-evoluer/

Contact : Vincent CALAY, chargé de recherche en prospective – +32 (0) 479 30 38 52  ou v.calay@iweps.be


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