Futurama, séminaire de prospective de l’IWEPS – Quels futurs possibles pour la démocratie ?
IWEPS, route de Louvain-la-Neuve, 2 - 5001 NamurVous n’avez pas pu assister à cette première édition du Futurama ? Retrouvez le séminaire en vidéo ci-dessous :
La démocratie face aux incertitudes
Au lendemain des élections régionales, fédérales et européennes, dans un contexte marqué par une crise sociale et environnementale ainsi que par une perte de confiance des citoyens à l’égard de leurs représentants, les capacités décisionnelles des démocraties sont mises aujourd’hui à rude épreuve.
Certains auteurs comme Pierre Rosanvallon (Rosanvallon, 2015) soulignent l’émergence d’une transition dans les régimes démocratiques contemporains. Cette transition se bâtit sur une volonté plus grande des citoyens de contrôle de l’action politique, notamment par l’intermédiaire de dispositifs participatifs. Cette transition consacre un tournant dans le fonctionnement des démocraties qui, pour Rosanvallon, indique le glissement d’une démocratie de l’autorisation, dans laquelle les citoyens laissent le pouvoir décisionnel à leurs représentants, à une démocratie d’exercice, dans laquelle les citoyens s’impliquent directement dans la décision.
Des scénarios d’évolution contrastés
Cette hypothèse d’une transition dans les démocraties contemporaines fait écho aux courants de recherches développés depuis une vingtaine d’année sur la démocratie délibérative. A propos des enjeux techniques et environnementaux, Michel Callon et ses collègues ont, dès le début des années 2000, développé le concept de « forums hybrides » (Callon, Lascoumes et Barthe, 2001) pour caractériser les assemblées mixtes en termes d’expertises et d’acteurs où s’élaborent les orientations en matière de politiques environnementales. D’autres ont développé le concept de « mini-publics » (Sintomer, 2011) pour marquer les nouvelles logiques de formation de l’action publique dans les contextes d’incertitude et de risque liés aux crises climatiques et sociales et, plus globalement, à la fin de visions de l’avenir déterminées par une idéologie ou un grand récit, en particulier celui de « progrès ».
Comme le souligne Yves Sintomer (2016), ces évolutions contribuent à un processus de « démocratisation de la démocratie ». Celui-ci se présente comme une tendance de fond susceptible d’influencer les transformations des institutions démocratiques dans plusieurs pays européens.
Cependant, la mise à l’épreuve des capacités décisionnelles des démocraties et le renforcement tendanciel du poids des exécutifs dans la décision publique (Rosanvallon, 2015) s’accompagnent également de nouvelles formes de personnification du pouvoir politique et de la montée de régimes autoritaires. Cette dynamique est apparue dans plusieurs démocraties au cours des dernières années et semble traduire une attente sociétale pour des décisions rapides, simples et efficaces, affranchies des lenteurs et des incertitudes des logiques délibératives et souvent dirigées par des positions idéologiques fortes.
D’autres phénomènes émergent également, en particulier à travers les théories dites de la « post-démocratie » (Crouch, 2004) qui postulent un déplacement des capacités décisionnelles : le monde des institutions politiques et administratives ne serait qu’un traducteur de décisions prises ailleurs, soit au sein des forces de marché soit à d’autres échelles politiques, notamment, en Europe, à celle de l’Union européenne. L’enjeu d’une démocratisation apparaîtrait, pour ces approches, au sein de l’économie elle-même : la réappropriation de l’économie par les citoyens renforcerait leur capacité de décision en participant, de façon directe, à la gestion d’activités économiques conçues comme biens collectifs (Ferreras, 2012).
Une crise de confiance à l’égard des dirigeants politiques en Europe et en Wallonie
Ces évolutions renforcent les difficultés rencontrées aujourd’hui par le monde politique : celui-ci s’avère, en effet, touché par un deficit de confiance dans toutes les démocraties occidentales car y émerge une forte dissonance entre l’importance symbolique et institutionnelle du vote et de l’élection et la faiblesse de leur impact sur les orientations prises par les démocraties.
En effet, les incertitudes liées aux crises sociales et environnementales se cumulent à des facteurs inhérents au monde politique. Tout d’abord, les « affaires » : celles-ci révèlent, de façon récurrente, diverses formes de détournements des institutions publiques au profit d’intérêts particuliers (corruption, enrichissement personnel, entretien de position dominante,…). Ensuite, depuis l’introduction du suffrage universel, le monde politique s’est, fortement autonomisé par le développement des carrières politiques et la professionnalisation qu’elles supposent. Enfin, le monde politique fait face à une réduction constante de ses prérogatives par la multiplication d’organes non élus intervenants dans la décision publique (Schmitter, 2017) : croissance du recours aux experts, développement des agences spécialisées, essor des Cours constitutionnelles, intégration des parties prenantes dans les processus de décision, multiplication des pôles décisionnels décentralisés au sein de structures de gouvernance multiniveaux, intégration des citoyens dans la conception de services publics par le canal digital, etc.
Une étude réalisée par la Fondation pour l’innovation politique (Reynié, 2017) a récemment souligné l’importance du niveau de méfiance à l’égard du monde politique à l’échelle européenne. D’après cette étude, 87% des Européens estiment que les élus défendent leurs intérêts personnels avant de défendre l’intérêt général. En outre, 77% jugent la classe politique corrompue. Cependant, malgré ces constats cinglants pour le monde politique, l’étude montre que 67% des Européens sont favorables au régime démocratique, l’estimant irremplaçable.
Le Baromètre social de la Wallonie réalisé par l’IWEPS (IWEPS, 2019) dresse des constats similaires pour la Wallonie. En effet, d’après l’étude, la confiance des Wallons envers les partis politiques et les élus décroît, passant, par exemple, pour les partis politiques de 44% en 2012 à 32% en 2018. Cependant, à l’instar des constats dressés par l’enquête européenne de la Fondation pour l’innovation politique, 89% des Wallons estiment que la démocratie demeure le moins mauvais des régimes politiques.
Quels futur(s) possible(s) pour la démocratie ?
Le Futurama du 27 juin propose de discuter de l’avenir de la démocratie à la lumière de ces évolutions à travers quatre questions clés :
- Quel est l’état de la démocratie wallonne aujourd’hui ?
- Quelles formes de « démocratisation de la démocratie » peut-on imaginer pour l’avenir ?
- Quelles formes de « démocratisation de l’économie » peut-on imaginer pour l’avenir ?
- Quels sont les futurs possibles de la démocratie en Wallonie ?
Références bibliographiques
- Callon M., Lascoumes, P. et Barthe, Y. (2001) Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique, Paris, Le Seuil.
- Crouch, C. (2004) Post-Democracy, Cambridge/Malden (MA), Polity Press.
- Ferreras, I. (2012) Gouverner le capitalisme ? Pour le bicamérisme économique, Paris, Presses universitaires de France.
- IWEPS (2019) Baromètre social de la Wallonie https://www.iweps.be/barometre-social-de-wallonie-special-democratie-institutions-wallonnes/
- Reynié, D. (dir.) (2017) Où va la démocratie ? Une enquête internationale de la fondation pour l’innovation polique, Paris, Plon.
- Rosanvallon, P. (2015) Le bon gouvernement, Paris, Le Seuil.
- Schmitter, C. (2017) « The future of democracy is not what it used to be », Zeitschrift für Vergleichende Politikwissenschaft, Volume 11, Issue 4, pp 459–467.
- Sintomer, Y. (2011) Petite histoire de l’expérimentation démocratique. Tirage au sort et politique d’Athènes à nos jours, Paris, La Découverte.
- Sintomer, Y. (2016) « Les Futurs de la démocratie au XXIe siècle », Raison publique, n°20, pp. 175-191.
Le Futurama, le séminaire de prospective de l’IWEPS
En juin 2019, l’IWEPS lance un séminaire de prospective public, le Futurama. L’ambition de ce séminaire est de proposer un lieu d’exploration et d’expérimentation des futurs possibles de nos sociétés. Il vise à développer la réflexion prospective autour de thématiques clés pour l’avenir de la Wallonie en proposant des échanges entre différents mondes encore très cloisonnés : le monde académique, les acteurs publics, le monde économique et la société civile. Les séances de Futurama s’organisent autour d’interventions d’experts qui proposent une vision de l’avenir et d’un débat avec le public afin de faire émerger une pluralité de futurs possibles.