Comment évaluer la qualité d’une démarche de prospective ?
Lorsque les conditions sont réunies pour mener une démarche de prospective et que les objectifs à atteindre sont clairs, un dispositif concret peut être conçu et mis en œuvre. L’évaluation de la qualité de la démarche démarre dès cette étape de conception, par l’évaluation de la méthodologie et de sa mise en œuvre. Elle se poursuit à la fin du projet, par l’examen critique des résultats. Elle se termine, enfin, à moyen/long terme, par l’étude des impacts de la démarche, et notamment de l’usage qui en a été fait (Sokolova, 2015).
Évaluation de la méthodologie et de sa mise en œuvre
L’évaluation des dispositifs concrets se fait dès l’entame de la démarche. Bien qu’il n’existe pas de recette unique pour mener une démarche prospective de qualité, il est crucial que les moyens mis en œuvre soient en adéquation avec les objectifs visés. Par exemple, si une démarche a pour ambition d’embarquer les acteurs d’un secteur pour préparer l’action collective, les acteurs doivent être choisis en conséquence et il est nécessaire d’utiliser des méthodes qui favorisent leurs interactions. L’équipe qui pilotera le projet doit alors disposer des qualifications nécessaires pour mettre en place ces méthodes et animer les participants.
En revanche, si la participation est un objectif secondaire par rapport à l’élaboration de représentations des futurs possibles pertinentes pour la prise de décision, les méthodes se concentreront davantage sur l’analyse de l’information et sur l’exploration des implications pour les commanditaires. Ce travail nécessite alors d’autres compétences de la part de l’équipe projet.
Si le processus mis en place est en décalage par rapport aux objectifs initiaux du projet, il manquera son but, quel que soit les mérites des dispositifs et de leur application. Dans ce contexte, une attention particulière doit être accordée aux ressources mobilisables (fiche ingrédients).
Évaluation des Résultats
L’évaluation des résultats se fait directement à la fin de la démarche. La pertinence des anticipations est une composante essentielle d’une démarche prospective réussie.
Cette pertinence s’évalue d’abord à la qualité intrinsèque des résultats : les anticipations doivent être cohérentes, vraisemblables et contrastées (Lamblin, 2018), mais également synthétiser correctement la réflexion sur les futurs possibles organisées par la démarche (Rowland et Spaniol, 2017). La pertinence des productions s’évalue ensuite à leur capacité à s’insérer dans le travail des publics-cibles. Des anticipations de qualité, mais dont le périmètre échappe complètement aux leviers à disposition des acteurs, manquent leur objectif. De même, des anticipations pauvres, peu originales ou en décalage avec les contributions des participants remettent en question la qualité de la démarche, même si leur périmètre est adapté à celui des publics-cibles.
Évaluation des Impacts
Enfin, les impacts à plus long terme d’une démarche de prospective sont, en quelque sorte, la trace que celle-ci laisse après la fin du projet. La prospective étant une démarche de recherche au service de la décision, elle produit des savoirs utilisables de différentes manières. Nous pouvons distinguer trois grands usages des connaissances produites par une démarche de prospective (Weiss, 1979 ; Fobé et Brans, 2013) :
- Usage instrumental : La qualité d’une démarche de prospective peut s’évaluer à l’aune de l’influence directe qu’elle a sur la prise de décision. Par exemple, certaines propositions issues de la phase stratégique sont-elles reprises dans une politique publique ?
- Usage symbolique : L’existence de la démarche est utilisée par les décideurs comme argument pour justifier l’action dans un secteur donné, indépendamment du contenu réel de la prospective. Ce cas peut être frustrant pour les prospectivistes, car le processus et les résultats n’ont pas de réelle influence sur les choix posés par les décideurs.
- Usage conceptuel : La démarche influence indirectement la vision du monde de ses publics-cibles, ce qui pourra se matérialiser dans des choix futurs. Ce type d’impact est souvent le plus raisonnable à attendre de la prospective.
Les impacts pourront donc être repérés dans l’utilisation effective des résultats, dans les mentions de la démarche pour justifier les choix des décideurs, ou encore dans l’identification d’idées ou de concepts issus de l’analyse prospective qui auraient influencé des parties prenantes.
La qualité d’une démarche de prospective repose sur l’adéquation entre la méthodologie mise en œuvre et les objectifs, sur la pertinence de ses résultats, et sur l’ampleur de ses impacts. Les deux premiers aspects résultent directement du travail de l’équipe de recherche et doivent donc être au centre de ses préoccupations.
Bibliographie
Fobé, E. et Brans, M. (2013) Policy-oriented foresight as evidence for policy making: Conditions of (mis)match, Evidence and Policy, vol. 9, n?4, pp. 473?492.
Lamblin, V. (2018) L’analyse morphologique : Une méthode pour construire des scénarios prospectifs, Futuribles International, série « Prospective and Strategic Foresight Toolbox».
https://www.futuribles.com/lanalyse-morphologique/
Rowland, N.J. et Spaniol, M. J. (2017) Social foundation of scenario planning, Technological Forecasting and Social Change, vol. 124, pp. 6?5.
Sokolova, A. (2015) An integrated approach for the evaluation of national Foresight: The Russian case, Technological Forecasting and Social Change, vol. 101, pp.216?225.
Weiss, C.H. (1979) The Many Meanings of Research Utilization, Public Administration Review, vol. 39, n? 5, pp. 426-431.