Comment juger de l’intérêt d’un questionnement prospectif face à une préoccupation donnée ?
Il n’est pas aisé de répondre à cette question. Pour ce faire, il faut tenir compte de plusieurs éléments qui renvoient à la nature et aux objectifs de la prospective. Dès lors, entamer une telle démarche nous paraît intéressant lorsque l’intention est de :
- mieux comprendre un système : en identifier ses composantes, les tendances lourdes, les inerties, les ruptures possibles, les menaces, les dangers, les phénomènes en émergence, les bifurcations possibles ou les facteurs de changement;
- élaborer une vision pour l’avenir de long terme;
- recourir à une méthodologie rationnelle et rigoureuse pour faire face à l’incertitude dont l’avenir est porteur;
- élaborer des stratégies cohérentes et d’améliorer la qualité des décisions à prendre en vue de concrétiser cette vision;
- mieux comprendre les jeux d’acteurs : leurs logiques d’action, les ressources à leur disposition, leurs contraintes et marges de manœuvre, les risques, menaces et opportunités d’action …;
- définir des évolutions potentielles et imaginer l’éventail des futurs choix possibles en vue d’adaptations d’un système considéré à la lumière de son environnement;
- ouvrir et explorer le champ des possibles relatif à l’évolution d’un système en intégrant la diversité des investissements et des représentations dont il fait l’objet par ses acteurs;
- désigner les objectifs à cibler par rapport à des évolutions souhaitées;
- mobiliser des parties prenantes autour d’un projet collectif portant sur un futur à choisir et à concrétiser;
- étudier les évolutions relatives à un problème pernicieux.
Ces diverses raisons ne doivent pas nécessairement se cumuler : un travail prospectif peut être motivé par un nombre très limité d’entre elles.
Par contre, au vu des spécificités de la prospective, il semble peu adéquat de développer un travail prospectif quand :
- il s’agit de dresser des prévisions ou de prédire l’avenir;
- c’est le court terme qui est visé;
- le travail à mener n’a aucun lien avec l’action ou la prise de la décision;
- l’attitude privilégiée est purement réactive, surtout face à l’urgence (par exemple, quand il s’agit de gérer une crise à court terme);
- il n’y a pas de volonté ou de possibilité de questionner les évidences et les idées reçues (par exemple parce que les tabous et les interdits d’expression ou de pensée sont trop nombreux) ou lorsqu’il est difficile de sortir des sentiers battus;
- il n’est pas souhaité ou possible de recourir à une forme d’intelligence collective et à une multiplicité de regards, notamment en termes de disciplines scientifiques;
- la lecture de la réalité ne s’inscrit pas dans une perspective systémique et ne tient pas compte de la complexité des mécanismes à l’œuvre (par exemple, si c’est une vision en termes de causalité linéaire et une posture déterministe qui est privilégiée)
- les moyens disponibles pour remplir la mission ne sont pas en adéquation avec les objectifs de celle-ci (par exemple, lorsqu’une consultation et une mobilisation intense des parties prenantes est souhaitée).
Bibliographie
Andersson, J. et Prat, P. (2015). Gouverner le « long terme » : La prospective et la production bureaucratique des futurs en France. Gouvernement & action publique, n°3, pages 9-29.
Dator, J. (2019). What futures studies is, and is not. In Jim Dator: A Noticer in Time, Springer, 3-5.
URL : https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-030-17387-6_1
Durance, P. (dir.) (2014). La prospective stratégique en action. Odile Jacob.
Durance, P. et Monti, R. (2017). Le Long Terme comme horizon. Système d’anticipation et métamorphose des organisations. Odile Jacob.
Gouirand, P. (1996). A quoi sert la prospective ? Espaces, n°49.
URL : https://www.tourisme-espaces.com/doc/2232.a-sert-prospective.html
Goux-Baudiment, F. (2014). De l’attitude à l’action prospective?: une métaméthode. In Guyot J.-L. et Brunet S. (éd.), Construire les Futurs – Contributions épistémologiques et méthodologiques à la démarche prospective. Presses Universitaires de Namur, juin 2014, pages 93-148.
Lugan, J-C. (2006). Lexique de systémique et de prospective. Conseil Economique et Social Midi-Pyrénées.
URL : http://www.intelliterwal.net/Glossaire/LUGAN_Jean-Claude_Lexique-Prospective_CESR-Midi-Pyrenees-2006.pdf
Mirenowicz, Ph. (1991). Guide pour les actions et études de prospective territoriale. Centre national de l’entrepreneuriat (CNE). Délégation Interministérielle à l’Aménagement du Territoire et à l’Attractivité Régionale (DATAR). Report : https://hal-lara.archives-ouvertes.fr/hal-02187838
Ponce del Castillo, A. (2020). Anticiper le changement, rester pertinents?: pourquoi les syndicats devraient faire de la prospective. ETUI. URL : https://www.etui.org/sites/default/files/Guide-prospective_FINAL_April23-WEB.pdf
Rosanvallon, P. (2013). Temporalité scientifique, temporalité politique. La lettre du Collège de France, n°37, Colloque de rentrée 2013.