Pourquoi a-t-on commencé à faire de la prospective ?
Les raisons pour lesquelles la prospective a été développée et utilisée ont varié au fil du temps. En effet, les contextes sociopolitiques de la Guerre Froide, des sociétés marquées par les risques technologiques après la catastrophe de Tchernobyl et aujourd’hui de la transition écologique suscitent des démarches prospectives aux objectifs très différents.
Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, les grandes idéologies nées au XIXème siècle sont en crise. Leurs promesses d’avenirs radieux semblent avoir conduit aux pires conflits. En 1945, l’avenir des sociétés est celui de la reconstruction, guidée par une approche bureaucratique faite de plans quinquennaux. En outre, des deux côtés du Rideau de Fer, les incertitudes causées par la Guerre Froide poussent à anticiper de possibles futurs conflits entre grandes puissances (Andersson, 2018).
Dans ce contexte, apparaissent deux dimensions clés de la prospective : d’une part, le développement d’outils permettant d’imaginer des scénarios d’évolution dans une perspective stratégique; d’autre part, une volonté de réappropriation de l’avenir afin d’imaginer d’autres futurs que ceux proposés par les logiques planificatrices et technocratiques des administrations. La double utilité contemporaine de la prospective naît dans ce contexte : stratégique, elle permet d’anticiper les évolutions et les changements pour mettre en place les actions nécessaires; politique, elle restitue aux sociétés la capacité à imaginer les futurs possibles, de façon libre et ouverte, participative et innovante.
Avec la fin de la Guerre Froide, ces techniques ont connu un important renouvellement, dans le contexte de ce qu’Ulrich Beck a appelé « La Société du Risque », une société marquée par les risques et les incertitudes nées des conséquences de l’usage des technologies sur les sociétés humaines et sur l’environnement (Beck, 2008). Cette société appelle à ce que s’élaborent de nouvelles méthodes qui permettent de faire face à ces incertitudes. Dans ce contexte, la double utilité politique et stratégique de la prospective connaît un vif regain d’intérêt (Andersson et Prat, 2015).
En effet, la prospective, par son approche systémique, permet d’appréhender la complexité des questions politiques, sociales et économiques et d’en imaginer les évolutions futures. Par ses méthodes, elle identifie les tendances lourdes; elle met en évidence les risques, les inerties, les ruptures et bifurcations possibles; elle cerne les phénomènes émergents et les opportunités d’action. La prospective permet de penser le temps long pour agir avec plus d’efficacité sur les mécanismes de la prise de décision à courte échéance (Godet, 2007; Durance et Monti, 2017).
Sa capacité à imaginer l’éventail des choix possibles en fonction des futurs souhaitables lui permet de jouer un rôle important dans l’aide à la décision. Elle offre la possibilité de construire des stratégies dont les objectifs sont informés des évolutions souhaitées. De ce fait, la prospective permet de restituer aux décideurs une capacité de décision de type pré-active, c’est-à-dire qui anticipe les risques et incertitudes pour s’en prémunir, voire proactive, c’est-à-dire qui s’engage dans le choix d’un futur et se donne les moyens d’y parvenir. La prospective permet ainsi de dépasser des logiques purement réactives fondées sur l’urgence (Godet, 2007).
Dans le contexte plus récent de la transition écologique, la prospective permet d’intégrer différents aspects clés des politiques de longue durée : l’anticipation des risques, le soutien à l’innovation, l’évaluation ex ante de mesures politiques, la mobilisation de l’ensemble des parties prenantes par des dispositifs participatifs ainsi que la co-construction de visions partagées, mais aussi la mise en place de processus d’apprentissage et de changement (Vob, Smith et Grin, 2009; Rosanvallon, 2013).
Bibliographie
Andersson, J. (2018). The Future of the World. Futurology, Futurists, and the Struggle for the Post Cold War Imagination. Oxford University Press.
Andersson, J. et Prat, P. (2015). Gouverner le « long terme » : La prospective et la production bureaucratique des futurs en France. Gouvernement & action publique, n°3, pages 9-29.
Beck, U. (2008). La Société du risque. Sur la voie d’une autre Modernité. Flammarion.
Durance, P. et Monti, R. (2017). Le Long Terme comme horizon. Système d’anticipation et métamorphose des organisations. Odile Jacob.
Godet, M. (2007). Manuel de Prospective stratégique, Tome 1. Une indiscipline intellectuelle. Dunod.
Rosanvallon, P. (2013). Temporalité scientifique, temporalité politique. La lettre du Collège de France, 37.
Vob, J-P., Smith, A. et Grin, J. (2009). Designing long-term policy : rethinking transition management. Policy Sciences, 42, pages 275-302.
Pour aller plus loin
Durance, P. (dir.) (2014). La prospective stratégique en action. Odile Jacob.
Godet, M. (2007). Manuel de Prospective stratégique, Tome 2. L’Art et la méthode. Dunod.