Prospective, strategic foresight, futures studies… Quelles différences ?
Le champ de l’anticipation se caractérise par une multitude d’approches qui se distinguent par leur conception du futur, leur rapport à l’incertitude et donc par leurs méthodes (van der Heijden, 2004 ; Van der Steen, 2017).
La prospective appartient à une famille d’approches anticipatives qui considère que l’avenir n’est pas déterminé et que les actions prises aujourd’hui peuvent significativement affecter le futur. Par conséquent, le travail anticipatif se concentre sur l’exploration de futurs alternatifs et des trajectoires qui pourraient y conduire (Coates, 2010).
Le strategic foresight et les futures studies, en tant qu’approches anticipatives, partagent ces principes. Les trois approches se distinguent néanmoins les unes des autres par plusieurs aspects.
Premièrement, par leur finalité : la prospective et le strategic foresight ambitionnent de contribuer à la prise de décision, alors que les futures studies poursuivent un but de recherche et de connaissance (del Pino, 2002). Dans le premier cas, il s’agit de produire avant tout un savoir « utile », c’est-à-dire appropriable et mobilisable dans un contexte de prise de décision stratégique. Dans le second cas, le but est de produire des représentations de futurs alternatifs informées par un travail de recherche rigoureux, sans considération pour l’utilisation qui en sera faite (Clardy, 2021). Cette différence de finalité se traduit notamment par un recours aux méthodes participatives tendanciellement moins important dans les futures studies.
Deuxièmement, au sein des approches orientées vers l’action, la prospective et le strategic foresight se différencient sur le rôle qu’ils accordent au « prospectiviste », à la participation et à des outils tels que les scénarios (Coates, 2010). Dans la tradition francophone de la prospective, le prospectiviste est un facilitateur qui accompagne la réflexion collective d’un groupe (que ce soit une petite équipe de managers ou un collectif plus large), en utilisant, par exemple, les scénarios comme objet permettant de stimuler le travail en commun et le débat afin d’élaborer une stratégie et de préparer au changement. À l’inverse, l’approche anglo-saxonne du strategic foresight considère le prospectiviste comme le producteur d’une réflexion qu’il soumet à son public-cible, la participation éventuelle s’apparentant alors à de la consultation et les scénarios étant plutôt destinés à synthétiser et à diffuser ses résultats qu’à nourrir un débat.
Quand et pourquoi choisir l’une ou l’autre approche ? Compte tenu de ce qui précède, une approche de type futures studies qui recourt peu ou ne recourt pas à la participation est la plus indiquée pour développer une réflexion sur les futurs possibles d’un objet, lorsque celle-ci est déconnectée de tout processus de prise de décision et que l’objectif est de produire un discours “quasi-scientifique” sur le futur. La boîte à outils proposée par la prospective à la française est la plus adaptée lorsque la démarche est entreprise dans une perspective de conduite du changement au sein d’un collectif. La réflexion sur les futurs fournit alors un « espace » permettant aux participants questionnent leurs présupposés sur ce qui pourrait advenir et envisagent différemment les enjeux du présent. Enfin, lorsque la démarche cherche à informer un processus de prise de décision, mais que les conditions ne sont pas réunies pour accompagner en profondeur la réflexion d’un groupe (par exemple, par manque de ressources), une démarche du type strategic foresight, réalisée principalement par le prospectiviste et présentée au commanditaire, est plus pertinente.
Bibliographie
Clardy A. (2021). « What Can We Know about the Future ? Epistemology and the Credibility of Claims about the World Ahead », Foresight, 24, n° 1, p. 1-18.
Coates J.F. (2010). « The Future of Foresight Perspective », Technol. Forecast. Soc. Change, 77, n° 9, p. 1428-1437.
del Pino J.S. (2002). « The Challenge of Teaching Futures Studies », dans Dator, J. (dir.), Advancing Futures. Futures Studies in Higher Éducation., Westport, p. 283-293.
van der Heijden K. (2004). « Can Internally Generated Futures Accelerate Organizational Learning ? », Futures, 36, n° 2, p. 145-159.
Van der Steen M. (2017). « Anticipation Tools in Policy Formulation : Forecasting, Foresight and Implications for Policy Planning », dans Handbook of Policy Formulation, Edward Elgar Publishing, p. 182-197.