Qu’entend-on par « attitude prospective » ?
Faire de la prospective suppose tout d’abord l’adoption d’une certaine attitude. Celle-ci a été prônée par Gaston Berger, père de la prospective française, dès 1958. Selon ce philosophe, cette attitude repose sur cinq fondements :
- voir loin : pour une voiture qui roule de nuit et de plus en plus vite sur une route inconnue, il faut des phares qui portent de plus en plus loin pour anticiper les obstacles et éviter l’accident. Notre monde est comparable à cette voiture : les changements y sont de plus en plus nombreux et rapides et les causes engendrent leurs effets à une vitesse de plus en plus élevée. Il n’est donc plus possible de considérer simplement les conséquences immédiates des actions en cours. Dès lors, la prospective nous invite à considérer l’avenir et à le considérer au loin. Elle est l’étude de l’avenir lointain;
- voir large : devant un monde de plus en plus rapide, mais aussi de plus en plus complexe, les approches réductionnistes et monodisciplinaires montrent leurs limites. Pour anticiper une situation éloignée dans l’avenir, il faut privilégier l’interdisciplinarité et la transversalité. C’est dans la rencontre d’experts d’horizons différents que doit se fonder la démarche prospective. Celle-ci ne procède pas par superposition de connaissances. Elle s’appuie sur l’intelligence collective, sur la confrontation de savoirs et d’expériences et sur l’imagination pour dégager une vision commune;
- voir profond : le plus souvent, la décision se fonde sur un de ces trois procédés : le précédent (la force de l’habitude, la dépendance au sentier…), l’analogie (“on fait comme”, on se réfère à un benchmark) ou l’extrapolation (le prolongement de la tendance actuelle). Or, dans un monde en changement et en accélération, ces procédés ne sont plus pertinents. Les mutations impliquent une analyse en profondeur des processus à l’œuvre, des tendances, des ruptures… C’est pourquoi la prospective ne peut procéder que par un long travail d’analyse en profondeur;
- prendre des risques : la prospective remet en cause les idées reçues. Pour voir loin, large et profond, il faut faire montre de liberté de penser et éviter l’autocensure, le prescrit officiel et le conformisme. La prospective suppose une liberté que ne permet pas l’action immédiate, inféodée aux contraintes et aux contingences de l’urgence. Dans ce cadre, elle nécessite la hardiesse et expose à la prise de risque;
- « penser à l’Homme » (Berger, 1958) : c’est l’être humain qui est la mesure de la démarche prospective. Celle-ci renvoie à la conception démocratique de l’action collective. Fruit de la liberté humaine et non de la fatalité, l’avenir est ouvert et malléable. Il ne s’agit pas de nier l’existence de déterminismes mais bien de comprendre ces derniers en vue d’accroître la liberté de choix.
Complémentairement à l’adoption de cette “attitude prospective”, face à une préoccupation donnée, il faut également s’interroger sur l’intérêt d’un questionnement prospectif. Un certain nombre de prérequis doivent en effet être rencontrés pour “faire de la prospective” dans de bonnes conditions, comme indiqué par ailleurs, notamment en termes de ressources humaines, temporelles et matérielles.
Bibliographie
Berger, G. (1958). L’attitude prospective. Prospective, n°1, mai.
Pour aller plus loin
Berger, G., de Bourbon-Busset, J. et Massé, P. (2007). De la Prospective. Textes fondamentaux de la prospective française, textes réunis et présentés par Durance P. L’Harmattan.
Durance, P. (dir.) (2014). La prospective stratégique en action. Odile Jacob.
Goux-Baudiment, F. (2014). De l’attitude à l’action prospective?: une métaméthode. In Guyot J.-L. et Brunet S. (éd.), Construire les Futurs – Contributions épistémologiques et méthodologiques à la démarche prospective. Presses Universitaires de Namur, juin 2014, pages 93-148.