Qu’est-ce que la prospective ?
Foresight, toekomstverkenning, prospectiva… la pratique prospective se décline en une multitude d’approches avec des spécificités propres, notamment en fonction des traditions régionales (Coates, Durance et Godet 2010 ; Petitjean, 2016). Nous proposons d’identifier ici un ensemble de traits saillants coexistant dans la littérature.
La prospective est une démarche de recherche et d’intelligence collective qui vise à éclairer l’action présente à la lumière des futurs possibles. Elle vise à dépasser les analyses de court terme pour intégrer le temps long dans la réflexion. Elle adopte (1) une posture systémique, interdisciplinaire et participative pour explorer et/ou questionner (2) des futurs de long terme, ouverts et pluriels, portant sur des (3) problèmes pernicieux, grâce à (4) des méthodes rigoureuses (5) afin d’alimenter la décision. Détaillons ces cinq caractéristiques.
- Une posture systémique, interdisciplinaire et participative : la prospective considère le réel dans sa complexité. Elle postule que pour appréhender l’évolution d’un système, il faut comprendre les facteurs économiques, politiques, sociaux et écologiques et technologiques qui l’influencent. Il est dès lors nécessaire de prendre en considération une multiplicité de points de vue et des perspectives disciplinaires. La prospective se présente comme une démarche participative pour deux raisons. Pour commencer, la participation permet d’améliorer les contenus de la démarche en organisant la discussion entre les différentes expertises pertinentes pour atteindre une compréhension systémique des questions étudiées. Ensuite, elle se présente comme un outil permettant une implication effective des diverses parties prenantes dans l’exploration et l’élaboration des représentations et des cadres d’analyse qui alimentent la prise de décision (Saritas, Pace et Stalpers, 2013).
- Des futurs ouverts et pluriels : Le futur n’est pas envisagé comme un donné déjà défini ou préétabli par le présent ou le passé. Au contraire, la prospective conçoit l’avenir comme ouvert et malléable. Comme le disait Jacques Lesourne, “l’avenir apparaît être à la fois le fruit du hasard, de la nécessité, mais également de la volonté” (cité in Lugan, 2006). Par conséquent, le futur ne peut être prédit, mais des alternatives peuvent être mises en évidence et des futurs préférables envisagés ou inventés. Pour alimenter notre réflexion sur le présent, il est donc utile d’envisager des futurs multiples (Dator, 2019).
- Des problèmes pernicieux : La prospective traite des wicked problems (problèmes pernicieux). Ce sont des problèmes qui sont régis par l’incertitude, la complexité et l’ambiguïté et dont la solution ne peut être apportée par une approche strictement causaliste (Head, 2008). En 2020, la crise du covid-19 a fourni un exemple de ce type de problème. Ainsi, les mesures de confinement prises pour gérer la crise sanitaire ont provoqué des difficultés économiques et sociales pour une partie de la population et pour les secteurs de l’économie les plus à risque du point de vue de la transmission du virus. La prospective traite spécifiquement de ces problèmes où il y a controverse autour des faits et conflit entre les valeurs, les préférences et les représentations et donc sur les futurs possibles, souhaitables et les stratégies qui y mènent.
- Des méthodes rigoureuses : la prospective, à la différence de la science-fiction, mobilise une méthode de recherche et des techniques rigoureuses pour produire ses représentations du futur. La compréhension du système et les futurs possibles sont construits grâce à un arsenal de méthodes parfois issues des sciences humaines et sociales et parfois propres à la prospective. L’usage des scénarios en constitue l’exemple le plus connu. Par ailleurs, la prospective s’appuie sur les autres sciences, comme la sociologie, l’économie ou la science politique pour informer sa démarche.
- Le soutien à la décision : si la démarche prospective vise l’exploration des futurs, c’est pour contribuer à l’action dans le présent. Par sa capacité à réinterroger les enjeux, la prospective informe les décideurs, facilite la mobilisation des parties-prenantes voire contribue à la transformation du système considéré. La valeur d’un exercice de prospective ne réside donc pas dans son pouvoir prédictif mais dans son habileté à nourrir la prise de décision et l’action.
Bibliographie
Coates, J., Durance Ph. et Godet M. (2010). Strategic Foresight Issue : Introduction. Technological Forecasting and Social Change, volume 77 (9), pages 1423-1425.
Dator, J. (2019). What futures studies is, and is not. In Jim Dator : A Noticer in Time. Springer, 3-5.
Head, B. W. (2008). Wicked problems in public policy. Public Policy, volume 3 (2), pages 101-118.
Lugan, J.-Cl. (2006). Lexique de systémique et de prospective. Conseil économique et social Midi-Pyrénées.
Petit Jean, M. (2016). L’institutionnalisation de la prospective dans l’action publique. Analyse comparée des systèmes politico-administratifs britannique, néerlandais et wallon. Thèse de sciences politiques et sociales. Université Catholique de Louvain. Lien : https://www.iweps.be/wp-content/uploads/2017/01/2016-PetitJean-These.pdf
Saritas, O., Pace, L. A. et Stalpers, S. I. P. (2013). Stakeholder participation and dialogue in foresight. In Participation and interaction in foresight, dialogue, dissemination and visions. Editions : Kristian Borch, Sandra M. Dingli, et Michael Søgaard Jørgensen. Cheltenham, UK, Northampton, MA : Edward Elgar.
Pour aller plus loin
Destatte, Ph. et Durance Ph. (2009). Les mots-clés de la prospective territoriale. La Documentation française.
Godet, M. (1991). De l’anticipation à l’action. Dunod.
Gouirand, P. (1996). A quoi sert la prospective?? Cahier Espaces n°49.
Goux-Baudiment, F. (2014). De l’attitude à l’action prospective?: une métaméthode. In Guyot J.-L. et Brunet S. (éd.), Construire les Futurs – Contributions épistémologiques et méthodologiques à la démarche prospective. Presses Universitaires de Namur, juin 2014, pages 93-148.
Kuosa, T. (2016). The evolution of strategic foresight?: Navigating public policy making. Routledge.
Mermet, L. (2004). Prospective : un objet d’étude pour les SIC. Hermes, La Revue n° 38(1) : 207-14.
Mirenowicz, Ph. (1991). Guide pour les actions et études de prospective territoriale. Centre national de l’entrepreneuriat (CNE). Délégation Interministérielle à l’Aménagement du Territoire et à l’Attractivité Régionale (DATAR). Report : https://hal-lara.archives-ouvertes.fr/hal-02187838
Ponce del Castillo, A. (2020). Anticiper le changement, rester pertinents?: pourquoi les syndicats devraient faire de la prospective. ETUI. URL : https://www.etui.org/sites/default/files/Guide-prospective_FINAL_April23-WEB.pdf