À quoi sert la prospective ?
Dans le premier tome de son Manuel de prospective stratégique, Michel Godet définit l’utilité de la prospective par sa faculté à doter les décisions stratégiques d’organisations publiques ou privées d’une meilleure appréhension des incertitudes futures. Cette utilité se décline en trois objectifs stratégiques pour les démarches prospectives : (1) orienter l’action présente à la lumière des futurs possibles et souhaitables; (2) baliser les futurs possibles de repères qui aident à distinguer les faits porteurs d’avenir; (3) mobiliser l’intelligence collective et, par ce fait, permettre une appropriation du changement par l’anticipation partagée (Godet, 2007 : 5-11).
Ces trois objectifs de la prospective peuvent être déclinés, en s’appuyant sur d’autres auteurs (notamment : Da Costa et al., 2008; Fobé et Brans, 2011; Lugan, 2006), en une série de fonctions qui permettent de comprendre l’utilité de la prospective.
- Orienter l’action présente à la lumière des futurs possibles et souhaitables
Une des grandes particularités de la prospective est d’offrir un ensemble de méthodes et d’outils rationnels, rigoureux et à visée scientifique qui permettent la préparation de stratégies dans des situations d’incertitude.
De façon générale, la prospective exploite ces différents outils et méthodes dans l’objectif de répondre à quatre questions clés:
- Que peut-il advenir? Cette question suppose que l’analyse prospective développe une série de futurs possibles afin de permettre l’anticipation.
- Que puis-je faire? Cette question interroge les capacités et moyens d’action des personnes et organisations qui font face à ces futurs possibles. Elle lie donc la réflexion prospective à l’action.
- Que vais-je faire? Cette question suppose qu’une vision prospective puisse être établie, qu’un choix parmi les futurs possibles puisse être posé à un moment donné.
- Comment le faire? Cette question induit le développement d’une construction stratégique qui permet de définir les objectifs à atteindre pour parvenir à la vision définie.
De façon indirecte, les connaissances prospectives développées en cours d’analyse jouent un rôle de facilitation dans la mise en œuvre des décisions. En effet, le travail d’identification des futurs possibles et/ou souhaitables se base sur une rétrospective ainsi que sur un diagnostic de la situation. L’état des lieux critique permis par la démarche prospective ouvre les perspectives en facilitant la compréhension des enjeux liés aux décisions prises.
Plus fondamentalement, en tant que démarche stratégique orientée vers l’action, le travail prospectif est supposé contribuer à la transformation du système sous examen.
- Baliser les futurs possibles de repères qui aident à distinguer les faits porteurs d’avenir
La prospective propose une gamme d’outils et de méthodes qui permettent de créer une lisibilité de l’avenir. Plusieurs aspects des futurs identifiés dans un exercice prospectif comportent une utilité intrinsèque pour orienter l’action présente.
Au niveau du diagnostic de la situation, la démarche prospective identifie des tendances lourdes dans le fonctionnement d’un système qui peuvent contribuer à la formation de plusieurs futurs possibles. Elle pointe également les différents types de ressources dont bénéficie le système analysé ainsi que les contraintes dont il est l’objet. Le travail d’identification des futurs possibles tient compte, également, des marges de manœuvre possibles du système sous examen.
Au niveau des évolutions possibles, la démarche prospective, grâce notamment à son approche systémique, est apte à identifier les risques auxquels s’expose un système ainsi que les inerties dont il peut être l’objet. Cette analyse permet d’envisager des phénomènes de transformation issus de ruptures ou d’émergences d’innovation. L’identification de ces différents éléments permet d’établir des opportunités d’actions ou des phénomènes de bifurcation, tous éléments qui concourent à l’établissement de “faits porteurs d’avenir” dans le présent soit des “faits infimes par leurs dimensions présentes mais immenses par leurs conséquences virtuelles” (Massé, 1962).
Cette capacité à identifier ce que l’on appelle également des signaux faibles confère à la prospective une fonction préparatoire à des choses improbables, c’est-à-dire des événements qui pourraient paraître irréalistes dans les conditions présentes mais qui pourraient advenir, moyennant certaines évolutions.
- Mobiliser l’intelligence collective et permettre l’appropriation du changement
Les démarches de prospective visent à l’établissement d’une pluralité de futurs. Elles se développent fréquemment en exploitant les ressources de l’intelligence collective. Différents types de dispositifs collaboratifs organisent une confrontation de modes de compréhension des enjeux et de visions qui alimentent la construction de la gamme des futurs possibles. Cet aspect participatif de la prospective revêt plusieurs significations.
Tout d’abord, l’intégration d’experts, de parties prenantes et/ou de publics plus larges contribue à la légitimation des démarches autant qu’à leur transparence. En outre, elle permet aux participants de comprendre de l’intérieur les spécificités de la méthode employée dans la démarche prospective.
Ensuite, l’information et les connaissances produites dans le cadre du dispositif permettent également aux participants d’intégrer les différents éléments contribuant à la définition des futurs possibles et souhaitables. Cette démarche leur permet donc de s’approprier les différentes formes de changements possibles, ce qui aide à la compréhension des décisions.
En outre, les connaissances développées par les participants aux exercices prospectifs permettent aussi d’adopter une posture critique. La démarche prospective permet, en effet, de remettre en cause des idées reçues ou habitudes ainsi que, par le travail d’analyse rétrospective,de questionner les choix et décisions dans le passé. Elles nourrissent ainsi le développement du libre arbitre face à l’avenir, pour faire de ce dernier un espace de liberté plutôt que de fatalité.
Enfin, les dispositifs d’intelligence collective développés dans les démarches prospectives, par les différents types de confrontation de points de vue qu’ils orchestrent, aident à l’alignement des positions exprimées et à l’établissement d’une vision commune.
Par ces trois fonctions principales, la prospective peut également être utile dans d’autres domaines comme l’évaluation ex ante, la gestion des risques, la gestion de l’innovation, la conduite du changement ou la démocratie participative.
Bibliographie
Brunet, S. et Guyot, J-L. (2019). La prospective et analyse des risques : une tentative de rapprochement. IWEPS, Working paper n°28.
Da Costa, O., Cagnin, C., Warnke, P. et Scapolo, F. (2008). The impact of foresight on policy-making : Insights from the FORLEARN mutual learning process. Technology Analysis and Strategic Management, 20(3), pages 369-387.
Fobé, E. et Brans, M. (2011). Influence of Foresight on Public Policy in Flanders. EFP Brief Publisher : European Foresight Platform.
Godet, M. (2007) Manuel de Prospective stratégique, Tome 1. Une indiscipline intellectuelle. Dunod.
Gouirand, P. (1996). A quoi sert la prospective ? Cahier Espaces, n°49.
Lugan, J-C. (2006) Lexique de systémique et de prospective. Conseil Economique et Social Midi-Pyrénées. URL : http://www.intelliterwal.net/Glossaire/LUGAN_Jean-Claude_Lexique-ProspectiveCESR-Midi-Pyrenees-2006.pdf
Massé, P. (1962) Planification et prévision. La Table Ronde, octobre. Cité in Domenach, J-M. (1966) Note sur le bon usage de l’avenir. Esprit, n°346, pages 271-281.
Pour aller plus loin
Rio, N. (2016) A quoi sert la prospective ?
URL : https://www.internetactu.net/a-lire-ailleurs/a-quoi-sert-la-prospective/
Vidéo : https://www.dailymotion.com/video/x4yt8ee
Picut, G. (2014) A quoi sert la prospective stratégique ? Chronique, Journal Le Monde.
URL : https://www.lemonde.fr/economie/article/2014/05/14/a-quoi-sert-la-prospective-strategique_4416669_3234.html