Faut-il être expert pour faire de la prospective ?
Dans le langage courant, un « expert » s’assimile à un « spécialiste », il s’agit d’une personne « choisie pour ses connaissances techniques et chargée de faire des examens, des constatations, des évaluations à propos d’un fait, d’un sujet précis » nous indique le dictionnaire (Le Robert).
Un prospectiviste peut s’assimiler dans ce sens à un expert pour sa maîtrise des compétences et des techniques propres à la démarche prospective. L’expertise du prospectiviste est, avant tout, une expertise méthodologique. Il est un « spécialiste » des méthodes de prospective, c’est-à-dire de méthodes qui permettent de réaliser un diagnostic représentant la réalité de façon systémique et complexe, et qui supposent l’imagination de futurs pluriels et contrastés, la conception de scénarios, de recommandations pour l’action, voire de stratégies.
Le prospectiviste doit pouvoir collecter une information diversifiée recueillie auprès de spécialistes de l’objet, des différentes parties prenantes, des usagers d’une technologie ou des bénéficiaires d’une politique ainsi que des citoyens. Il doit également pouvoir mettre en place un dialogue entre des points de vue contrastés. Cela doit lui permettre d’ouvrir le champ des possibles en intégrant, d’ailleurs, des horizons avec lesquels il est peut-être, à titre personnel, en désaccord. Cela suppose, par conséquent, une approche multidisciplinaire mais aussi collective et participative qui multiplie les points de vue. Cela suppose également que l’on reconnaisse, en fonction des types d’exercices prospectifs, des expertises non institutionnalisées, en particulier ce qu’on appelle « l’expertise d’usage » qui permet d’intégrer aux débats et à la décision les citoyens ordinaires, compris comme usagers et/ou destinataires des décisions.
Par exemple, une analyse prospective portant sur les futurs de l’élevage bovin intégrera dans les dispositifs de collecte d’information et/ou participatifs différents types de parties prenantes dotées d’expertises spécifiques : les chercheurs spécialistes des problématiques de l’élevage, les différents acteurs des filières d’élevage (depuis l’agriculteur jusqu’au détaillant) mais aussi des syndicats agricoles, des groupes de pression, les administrations actives dans ce domaine et le monde politique. D’autres parties prenantes issues du monde agro-alimentaire pourront être également consultées comme les fédérations d’entreprises. Enfin, pourront être également intégrés à la démarche le monde associatif actif dans le domaine ou sur des domaines connexes, comme la nature et l’environnement, ainsi que des citoyens confrontés à la problématique en raison de leur lieu d’habitation ou sollicités pour donner leur opinion en tant que consommateur de produits de l’élevage.
Remarquons que le prospectiviste, en tant que méthodologie, est rarement un spécialiste de l’objet de l’analyse prospective. Il peut être amené à intervenir sur des terrains extrêmement variés en fonction des missions qui lui sont confiées : il peut, par exemple, passer d’un travail d’analyse prospective dédié aux futurs de l’agriculture et de l’élevage à un autre sur les politiques sociales et la pauvreté. Il n’a, cela va sans dire, pas de compétence universelle qui lui permettrait, seul, de réaliser une démarche complète sur n’importe quel sujet : son travail est grandement dépendant de sa capacité à rassembler un large éventail de savoirs et de connaissances. A l’inverse, le fait de détenir une expertise spécifique et pointue sur un sujet ou un domaine particulier ne donne pas de compétence pour élaborer une démarche prospective sur ce sujet ou ce domaine : il manque l’expertise méthodologique apportée par le prospectiviste.
Bibliographie
de Jouvenel, H. (1999) La démarche prospective : un bref guide méthodologique, Futuribles, n°247, pp. 47-68.
Durance, P. (dir.) (2014) La prospective stratégique en action, Odile Jacob.
Pour aller plus loin
Beck, U. (1992) Risk Society. Towards a New Modernity. Sage.
Berger, G., de Bourbon-Musset, J. et Massé, P. (2007) De la prospective – Textes fondamentaux de la prospective française (1955-1966), L’Harmattan.
Callon, M., Lascoumes, P. et Barthe, Y. (2001) Agir dans un monde incertain, Essai sur la démocratie technique, Le Seuil.Roqueplo, P. (1997) Entre savoir et décision, l’expertise scientifique, INRA Éditions.